Lecteur des voix : promenade rêveuse à l’invitation d’un glossaire

Jean-Claude Rollet est psychiatre à Roanne (Loire).

Il arrive par­fois qu’avant même d’ouvrir un livre, le futur lec­teur soit séduit par l’objet qu’il repré­sente et le plai­sir est comble quand il n’est pas lié à un élé­ment de cou­ver­ture sur­ajou­té, pho­to­gra­phie ou des­sin par exemple, mais bien par une esthé­tique intrin­sèque à l’ouvrage, comme ici son for­mat si bien adap­té à la pré­hen­sion de la main et qui fait son­ger à l’harmonie du rec­tangle d’or, tant ses pro­por­tions sont par­faites, ain­si que la cou­leur par­che­mi­née de sa cou­ver­ture, le rose sépia de ses titres et écrits de pré­sen­ta­tion. Il s’y ajoute la petite gra­vure assez énig­ma­tique qui réclame la loupe et à laquelle sera asso­ciée un peu plus loin la locu­tion latine « Pis­cis hic non est omnium » : ce pois­son-là n’est pas pour tout le monde, phrase qui fut pla­cée par Denis Dide­rot en exergue de sa pre­mière œuvre[1]. Le livre de Laurent Danon-Boi­leau Voix des racines, se pré­sente donc comme un pré­cieux cof­fret et l’on n’est qu’à peine sur­pris en l’ouvrant, d’y trou­ver des mots dont le sage ordon­nan­ce­ment ne dis­si­mu­le­ra pas long­temps la révé­la­tion de l’étonnante puis­sance de leur essence. 

Trop sou­vent, la vie quo­ti­dienne nous confronte et nous habi­tue à une mal­trai­tance des mots. Par­ti­cu­liè­re­ment en com­mu­ni­ca­tion ver­bale, on les trouve embri­ga­dés sans res­pect dans d’insipides logor­rhées qui colo­nisent les espaces de paroles pour mieux endoc­tri­ner l’auditoire. Les dis­cours sont déver­sés à flot conti­nu, cata­ractes défer­lantes, jux­ta­po­sant leurs frag­ments rac­cor­dés en d’interchangeables séquences, sans même s’octroyer l’espace d’une res­pi­ra­tion. Les mots deviennent des esclaves qui en sortent usés, rin­cés, vidés de leur sub­stan­ti­fique moelle, errant comme des âmes en peine à la recherche de leurs racines dont ils furent arra­chés par l’ouragan ver­bal. L’auditoire conster­né rêve d’assister à une pen­sée en état d’élaboration, confron­tée aux embûches de la maî­trise du verbe, inté­grant des silences, pre­nant le temps néces­saire pour par­ve­nir à conver­tir les mys­té­rieux mou­ve­ments de son flux men­tal en des mots adap­tés venant à sa ren­contre. Comme la déesse du poème de Par­mé­nide[2], cette pen­sée géné­ra­trice d’elle-même à tra­vers les mots, pour­rait dire : « Peu importe par où je com­mence puisque je revien­drai sur mes pas ». Tout se passe comme si la pen­sée ne deve­nait lan­gage qu’en dia­lo­guant avec ce der­nier.

Voix des racines est un havre pour les mots. Ils s’y res­sourcent à leur contact après avoir navi­gué sur l’océan du lan­gage. Le petit per­son­nage emblé­ma­tique des Édi­tions Fario, vaga­bonde à leur manière sur les che­mins de parole, por­tant dans son sac à dos son quan­tum de codage. La cita­tion latine de Dide­rot se trouve aus­si au seuil de Voix des racines. Pour l’encyclopédiste s’agissait-il seule­ment de dési­gner un livre dont le conte­nu déran­geant n’était pas à mettre entre toutes les mains ? Une autre rai­son com­mune à laquelle Laurent Danon-Boi­leau fait allu­sion en qua­trième de cou­ver­ture par une phrase extraite de la pré­face, motive ici sa pré­sence : nulle éla­bo­ra­tion de pen­sée en lan­gage ne sau­rait pré­tendre à la maî­trise du verbe. Dide­rot refuse la notion d’une œuvre uni­voque, elle ne peut qu’être approxi­ma­tive, à plu­sieurs voix, résul­tant d’un ensemble de pro­ces­sus sin­gu­liers, accrois­sant ain­si le hia­tus entre elle et celui qui se trouve être son auteur, comme entre un signi­fiant et son signi­fié. Il existe tou­jours une super­po­si­tion de pos­si­bi­li­tés, comme si l’intuition quan­tique affleu­rait depuis long­temps chez nombre de pen­seurs, réfu­tant l’idée de la repré­sen­ta­tion unique. Les racines vibrent à tra­vers leurs mots, et celui qui les emploie comme vec­teur d’un sens à trans­mettre, doit s’attendre à ce qu’ils ne se com­portent pas for­cé­ment comme de dociles véhi­cules. Pour autant, il ne s’agit pas non plus d’un para­si­tage inop­por­tun, mais plu­tôt d’un étrange retour à une com­plexi­té, que la per­cep­tion du réel nous a contraints à sim­pli­fier. Ain­si, ce pois­son n’est pas davan­tage le même pour tout le monde, qu’il ne ren­seigne sur celui qui l’a péché. 

Citant un texte de Plu­tarque, Laurent Danon-Boi­leau rap­porte un évé­ne­ment où le gram­mai­rien Épi­therses, pas­sa­ger d’un navire encal­mi­né dans les parages de l’île Paxos, enten­dit annon­cer par une voix de pro­ve­nance indé­ter­mi­née et comme sur­na­tu­relle, la mort du grand Pan, à la stu­peur géné­rale et conster­née de la foule qui en fut témoin. La condi­tion néces­saire à cette pro­cla­ma­tion était l’immobilité du bateau sur la mer, comme si l’instant se devait d’emprunter au mou­ve­ment une iden­tique sus­pen­sion, pour mieux signi­fier un avant et un après ou plus rien ne serait sem­blable. Fils d’Hermès et de Dryope (ou de Péné­lope), Pan, dieu de la vie, du désir, de l’animalité, de la fécon­di­té, de l’universel, de la nature sau­vage, des ber­gers, des trou­peaux, mais aus­si du désordre et de la panique, devait son nom au fait d’avoir été una­ni­me­ment accueilli par tous les dieux de l’Olympe. Ils étaient les divi­ni­tés de la troi­sième géné­ra­tion, sur laquelle Zeus régnait en maître, après avoir réglé leur compte aux Titans, aux Géants et même, non sans peine, au redou­table Typhon. Si Zeus était le dieu jus­ti­cier et ordon­na­teur de l’univers, Pan était celui de la puis­sance créa­trice empreinte d’une cer­taine sau­va­ge­rie, d’où son nom de Grand-Tout, mais plus tard, sa lai­deur finis­sant par déran­ger, il s’était exi­lé sur terre par­mi les mor­tels. En Arca­die, il n’avait pas échap­pé à la maxime latine « Et in Arca­dia Ego » : moi (la mort) je suis aus­si en Arca­die. L’immortalité des dieux ne s’entendait qu’au sein de l’infini d’un temps ache­vé, qui venait donc, semble-t-il, d’advenir. C’est du moins ce que racon­tait ce récit énig­ma­tique, annon­çant peut-être avant tout, la fin du poly­théisme. 

Pay­sage arca­dien, Abra­ham Rade­ma­ker, 1685–1735

Avec la mort de Pan, la nature per­dit cet enchan­te­ment, qui asso­ciait son aura de spi­ri­tua­li­té à la maté­ria­li­té des objets, célé­brait la joie du miracle inclus dans la vie, chan­tait le mys­tère uni­ver­sel que Pan accom­pa­gnait du son de sa flûte. Le réel ne s’en trou­vait pas pour autant plus acces­sible, mais l’enchantement des per­cep­tions favo­ri­sait un dia­logue affec­tif capable d’ouvrir l’inatteignable à l’exploration du récit. Les dieux, tout à la fois humains et non- humains peu­plaient cette inter­face, tra­çant des che­mins à tra­vers les incer­ti­tudes, les intui­tions, les hasards, les dési­rs et les doutes, la sage pro­tec­tion ou la sau­va­ge­rie. Pan se pré­sen­tait comme le poten­tia­li­sa­teur de ces pro­ces­sus, celui qui les char­geait d’énergie pour les impo­ser à l’entendement, sans craindre le désordre ni la panique résul­tant de leur étran­ge­té. Mais le désen­chan­te­ment de la nature aban­don­na les sor­ti­lèges de ces réseaux d’objets pour une exis­tence réduite à leur stricte per­cep­tion. Si Pan mou­rut à l’articulation du poly­théisme et du mono­théisme et que les dieux de l’Olympe se retrou­vèrent en déban­dade, c’est non seule­ment qu’il ne peut y avoir de mono­théisme sans un poly­théisme pré­exis­tant, mais aus­si que la rai­son sou­hai­tait mettre un terme, ou du moins ordon­ner et cana­li­ser, une ima­gi­na­tion per­çue comme trop effré­née. À ce stade de la culture humaine, il conve­nait désor­mais d’examiner les choses objec­ti­ve­ment et ration­nel­le­ment, l’une après l’autre, et non toutes à la fois. Le Dieu unique dans son omni­pré­sence, étant créa­teur et pos­ses­seur de la nature, ce n’était plus qu’à tra­vers lui qu’on devait la per­ce­voir. L’ancien dia­logue de liber­té, cédait la place aux dogmes et aux rituels. 

Une fois éli­mi­nés les pré­fixes et suf­fixes, la racine d’un mot repré­sente son uni­té irré­duc­tible, sa plus ancienne par­tie, sa matrice à par­tir de laquelle se for­me­ront tous les mots appa­ren­tés. « Après la mort du grand Pan, écrit Laurent Danon-Boi­leau, les mots furent le refuge ultime de quelques dieux païens qui, réso­lu­ment, vou­lurent demeu­rer ici-bas ». Il est vrai que leur com­merce avec les humains était si intense, que l’on peut ima­gi­ner leur désar­roi à la pen­sée de ne plus exis­ter qu’entre eux, assi­gnés tris­te­ment à l’Olympe. Se fau­fi­ler au cœur des mots pour s’y réfu­gier était donc une divine stra­té­gie, l’assurance de res­ter pré­sent au sein de la plus fon­da­men­tale des affaires humaines, puisque tou­jours par­cou­rue du désir, celle du lan­gage. Qu’elle soit celle du végé­tal qu’elle sou­tient et nour­rit, ou celle du mot qu’elle fait exis­ter en lui don­nant un sens, la racine demeure mas­quée, comme invi­sible, élé­ment du monde sou­ter­rain, de la mémoire enclose. Mais si les dieux deve­nus obso­lètes s’abritèrent dans les mots, l’esprit du paga­nisme n’y régnait-il pas depuis tou­jours, en un éter­nel pré­sent ? Sans ce constant pro­ces­sus pour enchan­ter le mur obs­cur du réel, com­ment l’homme plon­gé dans la pro­fu­sion des signes, sym­boles et phé­no­mènes, serait-il par­ve­nu à les agen­cer pour qu’en émergent le lan­gage et la pen­sée ?

Par le terme « Agi­ter », l’auteur ouvre avec humour son « Glos­saire giboyeux » sur une démons­tra­tion révé­lant erro­née la pre­mière éty­mo­lo­gie étu­diée. Le gibier est des plus mas­sifs, puisqu’il s’agit d’un ours, ani­mal tur­bide dont l’anthropologue Nas­tass­ja Mar­tin essuya dra­ma­ti­que­ment l’agressivité. Elle décrit dans un livre Croire aux fauves, sa ren­contre catas­tro­phique avec le plan­ti­grade sibé­rien dont elle sor­tit défi­gu­rée. Du mot « agi­ter » qui lui vint de cet acci­dent d’une vio­lence extrême, elle déri­va l’association « a‑gîter » pou­vant qua­li­fier l’agitation capable de s’emparer d’un être vivant pri­vé de son gîte pro­tec­teur, per­çu comme son lien d’appartenance au monde. « Hélas, nous dit Laurent Danon-Boi­leau qui regrette de ne pou­voir vali­der une si belle trou­vaille, cette éty­mo­lo­gie est erro­née. Le mot dérive, plus vrai­sem­bla­ble­ment, du verbe agi­tare, forme dite fré­quen­ta­tive qui exprime un ren­for­ce­ment inten­sif du sens du verbe agere, lequel signi­fie mettre en mou­ve­ment, faire bou­ger. » Cepen­dant, les erreurs n’empêchant pas les asso­cia­tions, il me vient à pro­pos de ce qui a été dit plus haut sur la mal­trai­tance des mots, mani­pu­lés dans le dédain du res­pect des gîtes que sont leurs racines, qu’ils pour­raient bien finir par s’agiter comme des ours mal léchés. 

S’il fal­lait n’élire qu’un seul terme dans le foi­son­ne­ment des mots de cet éton­nant glos­saire, mon choix retien­drait « Parole », vocable offrant son che­min de lan­gage au lec­teur rêveur qui par­court ce won­der­land lexi­cal. Alice y chute-t-elle dou­ce­ment au pro­fond de son puits, obser­vant au cours de sa des­cente l’étrange logique sou­ter­raine des racines des choses ? Elles forment des entre­lacs dont la den­si­té est à l’aune de la forêt des mots. Laurent Danon-Boi­leau en cite tour à tour les plus fré­quentes que l’on men­tionne seule­ment ici : fari, qui conver­tit en lan­gage le flux de la pen­sée et dont découle fabu­la, la fable, qui met la parole en récit et fatum, qui du dis­cours des dieux fait le des­tin des hommes ; puis parau­lare, par­ler, la para­bole ; loquor, le logos, l’énoncé, le dis­cours, rai­son­ne­ment logique qui agence entre eux les objets ver­baux en éta­blis­sant des liens for­més par la pen­sée, géné­rant en retour une pen­sée qui se déploie conti­nu­ment en éta­blis­sant de nou­veaux liens. Mais l’auteur évoque aus­si deux pro­ces­sus ayant en com­mun de sur­soir à la déroute de la fonc­tion d’enchaînement pur du logos. Le sato­ri de tra­di­tion japo­naise, qui agit comme un réveil, bri­sant le dérou­le­ment des repré­sen­ta­tions éta­blies. Par exemple, il en va en ana­lyse de l’effet arché­ty­pal de l’interprétation, capable de chan­ger le réfé­ren­tiel d’une per­cep­tion, en la dépla­çant vers un autre point de vue. Puis mythos, le mythe, et sa racine mu, ren­voyant au corps, à l’animalité, mugis­se­ment des bêtes, ori­gine du dis­cours. Comme le sato­ri, le mythe vient rompre l’agencement logique du logos, lorsqu’une telle néces­si­té l’impose. Il est un récit ima­gi­naire pro­po­sant l’explication de la venue à l’existence d’une réa­li­té ances­trale qui en est dépour­vue. Roland Barthes[3] y voyait un pro­ces­sus sophis­ti­qué dans lequel l’histoire du mythe pre­nait pour signi­fiant le signe d’un récit préa­lable. Sato­ri et mythos sont comme de com­plexes agents d’ajustement au spec­tacle de l’existant, pour main­te­nir une cohé­rence que l’agencement du logos n’a pas réus­si à pour­suivre. La racine dic, quant à elle, indique à la manière de l’index, dési­gnant un objet à par­ta­ger dans le dia­logue, en écar­tant ceux de son envi­ron­ne­ment, mais aus­si en le pré­sen­tant comme conforme au droit. Elle a donc valeur de jus­tice en poin­tant le bien et marque aus­si la pré­gnance du locu­teur sur celui qui écoute. 

Le logos nomme et crée des liens entre les objets de pen­sée pour les agen­cer en vastes réseaux, ren­dant per­cep­tible et appré­hen­dable une réa­li­té du monde, reflet d’un réel à jamais obs­cur. Les racines des mots dont traite cet ouvrage tant éru­dit que cap­ti­vant, paraissent effec­ti­ve­ment, telle une toile dont une Arach­né pérenne éten­drait indé­fi­ni­ment la vas­ti­tude, éta­blir des ponts, mur­mu­rants et mou­vants, entre une rive « être », telle celle des phé­no­mènes per­cep­tibles et l’autre « étant », celle des récits por­tés sur cette per­cep­tion. Il est donc bien ques­tion d’arche, dont l’auteur pré­cise le terme hébreu : tevah, nom­mant à la fois la nef de Noé flot­tant sur la colère océa­nique de Dieu, mais aus­si la parole, comme filtre per­cep­tif d’un chaos trop violent pour l’humain. Car si le logos réunit, il sépare aus­si, les points d’union et de cli­vage s’étant dépla­cés jusqu’à for­mer d’autres objets, abou­tis­sant au monde intel­li­gible où peut cir­cu­ler la pen­sée. Le lan­gage mathé­ma­tique est de cet ordre, s’il nous arrive d’être éba­his de décou­vrir un uni­vers répon­dant aux lois des équa­tions, tel que l’aurait créé un Dieu mathé­ma­ti­cien, c’est peut-être que notre flux de pen­sée a agen­cé nos per­cep­tions selon ces liens logiques, pour en faire le récit d’un monde dont notre esprit puisse sai­sir la repré­sen­ta­tion. 

L’expression « joindre le geste à la parole » a valeur éthique, puisqu’elle signi­fie tenir ses pro­messes en fai­sant ce que l’on a dit. Pour­tant dans son sens pre­mier, elle évoque le fait d’accompagner son dis­cours d’une ges­tuelle venant le sou­li­gner, l’affirmer, le com­plé­ter, en asso­ciant au lien audi­tif avec son inter­lo­cu­teur, une expres­sion visuelle l’invitant dans un espace d’échange. Cette ges­tuelle expres­sive ren­voie peut-être aux ori­gines du lan­gage, que ce soit à l’échelle de l’individu, ou à celle de l’espèce, quand un lan­gage bal­bu­tiant émer­gea d’une expres­sion plus glo­ba­le­ment cor­po­relle. Laurent Danon-Boi­leau pré­cise à quel point la ges­tuelle, la pos­ture, la mimique et la pro­so­die, créent avec l’autre, un espace tran­si­tion­nel par­cou­ru d’affects et de res­sen­tis, au point que ce lan­gage ges­tuel tra­verse par­fois le temps en ayant acquis une telle sta­bi­li­té, qu’il demeure sans être affec­té par l’usage d’une suc­ces­sion de langues dif­fé­rentes. Comme la pro­so­die, la ges­tuelle asso­ciée à la parole, signe la pro­fonde ori­gine affec­tive du lan­gage. Ce n’est certes pas l’intellect qui fait venir les mots aux lèvres des enfants quit­tant le stade infans pour atteindre sa racine fari, mais bien l’élan vers l’autre et la joie d’être en vie et de nom­mer le monde pour le faire exis­ter. L’intellect ne vient qu’après, et contient en son sein tout l’affect, au point que l’on peut se deman­der s’il n’est pas un pro­ces­sus sup­plé­men­taire du désir pour atteindre son accom­plis­se­ment, comme dans la subli­ma­tion. 

Dési­rer jus­te­ment ! L’auteur nous indique sa racine sidus, l’étoile, la constel­la­tion. Fas­ci­na­tion pour la puis­sance divine, mais aus­si desi­de­rare, l’éloignement de l’objet du désir, le désastre, l’astre détruit, la sidé­ra­tion à l’annonce de la mort du grand Pan. L’homme cherche dans le lan­gage la satis­fac­tion d’un désir qui ne sau­rait être nom­mée et c’est bien ain­si, car les récits ont l’avenir pour eux. 

En souf­flant à Laurent Danon-Boi­leau la néces­si­té́ d’arrêter là son œuvre, la déesse Anan­ké, défen­dant son omni­po­tence, a‑t-elle son­gé que par la voix des racines, les dieux s’étaient déjà suf­fi­sam­ment dévoi­lés aux mor­tels ? Sans oser la contre­dire, ni vou­loir pro­lon­ger les racines en d’infinis rhi­zomes, ces quelques lignes ne sont que de « fra­ter­nels échos » adres­sés à l’auteur, par un scribe pro­me­neur, livré à la rêve­rie de cette pro­so­die sur son enten­de­ment. 



[1] Denis Dide­rot. Pen­sées phi­lo­so­phiques. Pis­cis hic non est omnium. Hachette BNF, 2022.
[2] Jean Beau­fret. Par­mé­nide. Le poème. PUF, 2013.
[3] Roland Barthes. Mytho­lo­gies. Seuil, 2011.