Les Carrefours de la transmission

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François Richard, psychanalyste membre titulaire formateur de la SPP.

Com­ment peut-on trans­mettre la psy­cha­na­lyse dans un contexte aggra­vé de malaise dans la civi­li­sa­tion (Richard 2011a, 2021) ?

La com­mu­nau­té ana­ly­tique com­mence à en être affec­tée. Freud n’y est plus une réfé­rence évi­dente pour tous. Des thé­ma­tiques sim­pli­fi­ca­trices sur le déve­lop­pe­ment per­son­nel, l’identité, la cog­ni­tion, et une théo­rie du genre cou­pée de la théo­rie sexuelle, s’y immiscent. Cer­tains psy­cha­na­lystes intègrent moins l’exigence de leur méthode, et per­çoivent mal le trouble épis­té­mique en cause.

Petit miracle, l’articulation de l’interprétation reste por­teuse de véra­ci­té, elle ne semble pas atteinte par cette crise de la culture. L’énonciation de l’interprétation effi­cace crée une expé­rience humaine fon­da­men­tale, aujourd’hui comme hier, même pour des per­sonnes pri­vées d’un apport suf­fi­sant de connais­sances – ce qui concerne les psy­cha­na­lystes eux-mêmes.

Apo­ries sur la trans­mis­sion de la psy­cha­na­lyse

Le psy­cha­na­lyste à qui on a confié la fonc­tion de « for­ma­teur » se doit de sus­ci­ter la curio­si­té pour les auteurs clas­siques et contem­po­rains. Il trans­met l’hypothèse que l’on entre en dia­logue avec le livre que l’on lit et avec son auteur. Il trans­met le désir d’écrire un compte-ren­du cli­nique, un article, de faire une pré­sen­ta­tion à un sémi­naire – en disant, tout sim­ple­ment, aux ana­lystes en for­ma­tion, que leur pro­pos mérite ce des­tin. Pen­ser, c’est autre chose qu’écouter, asso­cier, inter­ve­nir, inter­pré­ter, à condi­tion que la pen­sée soit libre de toute langue qui serait apprise comme une langue étran­gère – en l’occurrence la langue méta­psy­cho­lo­gique – alors qu’il s’agit de trou­ver, cha­cun d’entre nous, notre propre façon de la par­ler. À défaut de quoi le psy­cha­na­lyste risque d’être frei­né dans sa créa­ti­vi­té, laquelle emprunte tou­jours, à un moment ou à un autre, telle ou telle for­mu­la­tion, res­tée inache­vée, du cor­pus freu­dien. Au trans­met­teur de le signi­fier au bon moment. Le dia­logue, en situa­tion de super­vi­sion, relève à cet égard de la maïeu­tique socra­tique, où il s’agit de mener l’interlocuteur à la recon­nais­sance de ses manques, de son non-savoir, dans l’acte même où il com­mence à exer­cer avec effi­cience une inter­ven­tion, afin de lui per­mettre de faire un pas au-delà vers la véri­table inter­pré­ta­tion. Le « super­vi­seur » doit admettre qu’il n’est pas tel­le­ment mieux armé que le super­vi­sé, et pré­sen­ter les choses en toute modes­tie, en mon­trant qu’on aurait pu dire autre­ment, et que la sug­ges­tion d’énoncé qu’il livre est elle-même sujette à reprise. Depuis quel lieu semblent, pour les oreilles du super­vi­sé, pro­fé­rées les paroles du super­vi­seur ? Un tout savoir, la doxa de telle socié­té de psy­cha­na­lyse, la bouche d’une ima­go incons­ciente dans l’occurrence où exis­te­rait un trans­fert incons­cient sur le super­vi­seur ? Celui-ci sera atten­tif à dépla­cer le site d’où il va être enten­du, ceci tout au long de l’entretien de super­vi­sion, afin de déjouer les cap­ta­tions ima­gi­naires qui aliènent la trans­mis­sion à d’autres enjeux.

Notre envi­ron­ne­ment bruisse de rumeurs, s’imprègne de pen­sée magique. Plus que jamais, il faut trans­mettre. La bonne trans­mis­sion est deve­nue un élé­ment cen­tral du ren­for­ce­ment de la consis­tance de la psy­cha­na­lyse. Il faut assu­mer un prin­cipe d’autorité mini­male en recon­nais­sant en même temps les para­doxes d’une trans­mis­sion qui recourt à des jurys d’admission et à un juge­ment sur la for­ma­tion octroyée, tout en se vou­lant aus­si libre qu’une séance de psy­cha­na­lyse. De tout ceci, for­ma­teurs et for­més peuvent par­ler, en une co-pen­sée plus démo­cra­tique et hori­zon­tale que hié­rar­chique et ver­ti­cale : même s’il s’agit en par­tie d’une illu­sion grou­pale, celle-ci, une fois éta­blie, inté­rio­ri­sée par ses pro­ta­go­nistes, ne dis­pa­rai­tra plus. De reste de sou­ve­nir elle se méta­mor­phose en trace mné­sique, l’éducation aura été méta­bo­li­sée en filia­tion. Les super­vi­sions, en par­ti­cu­lier col­lec­tives, res­semblent aux situa­tions fami­liales où la filia­tion s’élabore entre acqui­si­tion d’un héri­tage et urgence à se sépa­rer (Guillau­min, 1999).

Un pro­ces­sus de sym­bo­li­sa­tion enve­loppe ses phases anté­cé­dentes tout en en déca­lant la pers­pec­tive rétro­ac­tive. Par exemple je pré­fère ne pas inter­ve­nir, la dis­cus­sion asso­cia­tive des participant(e)s à la super­vi­sion col­lec­tive mène un peu plus tard à l’hypothèse que j’ai gar­dée par devers moi – en résulte un acquis de meilleure qua­li­té, bien équi­li­bré entre mots, images de sou­ve­nirs, élé­ments de théo­rie. Ou encore : « il y a quelques minutes ce que vous disiez m’a fait pen­ser, mais un peu autre­ment, à ce que vous pro­po­sez là main­te­nant ». Les pro­ces­sus de pen­sée sont ici décal­qués de la situa­tion psy­cha­na­ly­tique, mais pas cou­pés-col­lés. En séance avec un patient je porte mon « atten­tion sur tout d’une égale façon » (Freud, 1912, p. 146). Tan­dis qu’en super­vi­sion j’inviterai les jeunes psy­cha­na­lystes à mettre en rela­tion le sui­vi de l’écoute du trans­fert (et du contre-trans­fert) incons­cients – pre­mier temps de l’apprentissage – avec une atten­tion tout aus­si aver­tie concer­nant le lieu d’où les patients les entendent inter­ve­nir : ce que l’on dis­cerne mal des modu­la­tions de la parole, chan­ge­ments de ton, silences, lap­sus du patient, et ce que l’on croit soi-même faire en “don­nant“ de la voix avec un ton par­ti­cu­lier. L’espace de la séance s’élargit, se com­plexi­fie, en séance de super­vi­sion dans un registre à la fois pater­nel de sur­plomb syn­thé­tique, d’intervention inci­sive per­ti­nente, et mater­nelle de conte­nance pro­tec­trice, d’approbations encou­ra­geantes, de remarques cri­tiques bien­veillantes.

Une ana­lyste en for­ma­tion ne par­ve­nait pas à res­ti­tuer avec suf­fi­sam­ment de pré­ci­sion ce que sa patiente disait et encore moins la façon dont elle-même inter­ve­nait. Elle réus­sis­sait par contre à dépeindre une atmo­sphère d’ensemble dépres­sive et les sub­tils contacts entre les varia­tions des états d’âme de la patiente et les siens. Je n’insistais pas, deux ans plus tard l’histoire d’une névrose infan­tile avait été recons­truite, la patiente avait sur­mon­té sa dépres­sion, notre col­lègue rap­por­tait avec assu­rance ses inter­pré­ta­tions et leur bien fon­dé, par­fois en légère diver­gence avec moi. Nous entrions dans un pro­ces­sus mai­tri­sé de fin de super­vi­sion, je me déci­dais à lui dire : « Vous vous sou­ve­nez de cette période des com­men­ce­ments où votre mémoire était défaillante à ramas­ser les élé­ments des séances, et où la patiente vous entrai­nait dans un brouillard dont elle avait besoin pour s’y blot­tir contre votre pré­sence silen­cieuse ?  Nous avons main­te­nant com­pris que s’est ain­si répé­té quelque chose res­sor­tis­sant à la rela­tion de la patiente à sa mère. À l’époque, pour vous sou­te­nir, j’avais sou­li­gné la qua­li­té de votre sen­si­bi­li­té à l’expérience vécue de la patiente et de votre englo­be­ment de cette expé­rience par votre pen­sée, loin des détails pour­tant si impor­tants des séances. Je peux vous le dire, main­te­nant : je m’inquiétais aus­si, me deman­dant s’il ne s’agissait pas d’une dif­fi­cul­té à écou­ter et à entendre ». Elle me répond qu’elle aus­si s’était posé cette ques­tion, elle me remer­cie de lui avoir fait confiance, et reprend aus­si­tôt la posi­tion d’autorité qu’elle a acquise dans le groupe, conseillant telle ou telle façon de faire, trans­met­tant à son tour, y com­pris à moi, puisqu’elle n’hésitait pas à me pro­po­ser des remarques pour com­plé­ter ou nuan­cer mes pro­pos. Il fut un temps où elle s’était tenue en retrait, je l’amenais à avouer qu’elle se posait des ques­tions sur la for­ma­tion et ses règles. Je l’accompagnais sans cher­cher à convaincre. Le tra­vail du néga­tif, assez sou­vent, œuvre dans la trans­mis­sion.

Une jeune col­lègue avait ima­gi­né une scène de théâtre divi­sée en deux espaces, à droite le groupe de super­vi­sion parle des « cas », à gauche un espace plus vaste où les patients évoquent entre eux ce qui se dit à leur sujet dans la super­vi­sion col­lec­tive : il y a dis­so­nance, ça cor­res­pond et ça ne cor­res­pond pas. La dis­so­nance (Gen­sel, 2017) créé de la vraie réson­nance, comme dans cette pra­tique du Cham­bard où une troupe théâ­trale impro­vi­sait, lors d’un col­loque à Bruxelles, à par­tir de la confé­rence d’un psy­cha­na­lyste, en un sens comique cari­ca­tu­ral mieux que nos dis­cours si sérieux, toute une part de véri­té cli­nique. L’associativité à plu­sieurs (quand on est deux, on est déjà à plu­sieurs) intègre les dis­rup­tions dis­so­cia­tives : les tours de parole s’interrompent les uns les autres, des mots entrent en cor­res­pon­dance, cha­cun pointe un aspect sin­gu­lier de la per­sonne incon­nue et si connue du patient que seul le super­vi­sé connait en pré­sence durant toutes ces heures où il four­bit pour lui ses inter­pré­ta­tions, dont il reste le seul acteur et le seul res­pon­sable, mal­gré le sys­tème orga­ni­sé de trans­mis­sion où il s’insère.

Cette asso­cia­ti­vi­té ouvre à une pen­sée déli­vrée de toute contrainte, y com­pris celle de la mise en récit sys­té­ma­tique ver­ba­tim, des séances heb­do­ma­daires. Une ren­contre advient (Richard, 2011b) dans le dia­logue, le face-à-face, la confron­ta­tion ardue, où l’on se mesure, dif­fé­rents et sem­blables.

Un ana­lyste en for­ma­tion s’interrogeait sur le pro­pos où Freud, enthou­siaste, sup­po­sait que la psy­cha­na­lyse per­met­trait de sub­sti­tuer la méta­psy­cho­lo­gie à la méta­phy­sique. J’y voyais de l’hubris, il y com­pre­nait à l’inverse le débou­lon­nage de tout dogme tota­li­taire et l’acceptation des limites et de la cas­tra­tion. C’est la pierre d’achoppement de toute trans­mis­sion : nos mots sont ambi­gus, poly­sé­miques, voire tout sim­ple­ment insuf­fi­sants à rendre compte des nuances et de la com­plexi­té de la pen­sée. La trans­mis­sion tra­vaille du sens posé sur une incer­ti­tude irré­duc­tible. Freud avan­ça le concept de sur­dé­ter­mi­na­tion, déter­mi­na­tion simul­ta­née d’un symp­tôme mais aus­si d’une pen­sée, par plu­sieurs sources en conflit, les unes incons­cientes et les autres conscientes (Freud, 1900, p. 481 et 484). En super­vi­sion, encore plus qu’en séance avec un patient, notre écoute est loin du noyau de pré­sen­ti­fi­ca­tion hal­lu­ci­née des rêves : nous y inves­tis­sons les images mné­siques des per­cep­tions mais pas jusqu’à res­sus­ci­ter les dési­rs – ce qui explique le recours à une rhé­to­rique méta­pho­rique qui pré­sume les res­ti­tuer en tour­noyant autour. Pour­tant Freud met en garde contre l’abus de méta­phores : « Lorsque nous disons qu’une pen­sée incons­ciente s’efforce de se faire tra­duire en pré­cons­cient, pour péné­trer de force ensuite dans la conscience, nous n’entendons pas par là qu’il y a for­ma­tion d’une seconde idée, située en un autre lieu, quelque chose comme une trans­crip­tion […] Nous ris­quons […] de nous lais­ser entrai­ner par cette méta­phore […] Lais­sons là ces images […] ; rem­pla­çons un mode de repré­sen­ta­tion topique par un mode de repré­sen­ta­tion dyna­mique ; ce n’est pas la for­ma­tion psy­chique qui nous parait chan­gée, mais son inner­va­tion » (Ibid., p. 518) puis il ajoute : « Tout ce qui peut deve­nir objet de per­cep­tion à terme est vir­tuel », et un peu plus loin : « la conscience […] per­met de per­ce­voir les qua­li­tés psy­chiques » (p. 522) – for­mule qui auto­rise la pos­si­bi­li­té d’une trans­mis­sion tan­dis que la cri­tique radi­cale de toute croyance en la pos­si­bi­li­té de trans­crire l’expérience incons­ciente en formes pré­cons­cientes, ne l’autorisait pas. La trans­mis­sion se situe à mi-che­min entre ces deux concep­tions. Le psy­cha­na­lyste a fait une ana­lyse per­son­nelle, peut-être une seconde, voire une troi­sième, laquelle met en abîme les pré­cé­dentes parce qu’elle fait voir autre­ment l’impossibilité de trans­crire com­plè­te­ment la vie psy­chique la plus pri­mi­tive dont parle Freud. Au-delà du vir­tuel, dont il parle aus­si, y sont élu­ci­dés les éprou­vés bou­le­ver­sants les plus archaïques.

Le psy­cha­na­lyste for­ma­teur a béné­fi­cié de super­vi­sions, celles du cur­sus d’une socié­té de psy­cha­na­lyse ain­si que d’autres. Avec l’ensemble de ces acquis, il dis­cri­mine la véra­ci­té his­to­rique des mises en récit défen­sives. Il est fami­lier des car­re­fours situés au cœur de son psy­chisme : « les rêves les mieux inter­pré­tés gardent sou­vent un point obs­cur ; on remarque là un nœud de pen­sées que l’on ne peut défaire, mais qui n’apporterait rien de plus au conte­nu du rêve. C’est l’“ombilic“ du rêve, le point où il se rat­tache à l’Inconnu. Les pen­sées du rêve que l’on ren­contre pen­dant l’interprétation n’ont en géné­ral pas d’aboutissement. Elles se rami­fient en tout sens dans le réseau enche­vê­tré de nos pen­sées. Le désir du rêve sur­git d’un point le plus épais de ce tis­su, comme le cham­pi­gnon de son mycé­lium. » (Freud, ibid., p. 446)

Pre­nons au sérieux cette limi­ta­tion struc­tu­relle des pou­voirs de la trans­mis­sion en psy­cha­na­lyse : elle intro­duit à une posi­tion psy­chique où nous trans­met­tons d’autant mieux que nous pre­nons la mesure de l’Inconnu, infi­ni.

J’ai fait une troi­sième ana­lyse au moment où je débu­tais ma pra­tique de super­vi­seur. Simul­ta­né­ment patient, ana­lyste et trans­met­teur, je décou­vrais l’après-coup de l’après-coup de mon his­toire la plus archaïque. Je change ; mes inter­ven­tions sont plus claires et mieux ciblées. J’apprenais paral­lè­le­ment une autre moda­li­té d’après-coup de l’après-coup, en accom­pa­gnant les inter­pré­ta­tions des ana­lystes en for­ma­tion, elles-mêmes après-coup second de l’après-coup pri­mi­tif (le pro­ces­sus ana­ly­tique du patient), par le nou­veau regard, la nou­velle écoute que je pro­po­sais : après-coup troi­sième.

La confluence, dans une même jour­née, d’une séance comme patient, avec ma pra­tique avec de nom­breux patients et quelques super­vi­sés, repré­sente spa­tia­le­ment et tem­po­rel­le­ment la rami­fi­ca­tion des pen­sées du rêve dont parle Freud, et leur fraye la route vers une dyna­mique, une éco­no­mie sal­va­trice, du côté de la subli­ma­tion.

Méthode et tech­nique de la trans­mis­sion en psy­cha­na­lyse

J’ai évo­qué le style du dia­logue socra­tique qui fait appa­raître chez l’interlocuteur ce qu’il sait sans le savoir consciem­ment. Celui qui trans­met pour­ra illus­trer une situa­tion cli­nique pré­sen­tée par l’« ana­lyste en for­ma­tion », en évo­quant un frag­ment de séance qu’il vient tout juste de vivre avec un patient, sus­cep­tible de lui faire écho : « vous voyez, il y a là quelque chose d’universel, moi aus­si je constate cela, je suis inter­ve­nu un peu autre­ment que vous ne l’avez fait ». C’est la mère de toutes les tech­niques : expo­ser la palette des façons d’intervenir, avec leurs atten­dus, leurs impli­cites et leurs consé­quences, et, à par­tir de là, créer un col­loque sin­gu­lier entre le super­vi­seur et l’analyste en for­ma­tion. Par­fois la séance de super­vi­sion com­mence d’emblée par la pour­suite d’un tel col­loque ini­tié la séance pré­cé­dente, puis on se dirige de cette vue d’ensemble en sur­plomb vers l’analyse com­plète de situa­tions pré­cises. Il s’agit ici d’une déri­va­tion de la tech­nique win­ni­cot­tienne de ren­voi en miroir au patient des mots qu’il a employés avec quelque chose de plus pour qu’il aille un peu plus loin, et d’une appli­ca­tion du concept freu­dien de dépla­ce­ment : le mot, l’interprétation, l’image qui viennent (Ein­fall) sont tou­jours à côté, jamais la chose même, en ver­tu du refou­le­ment, mais aus­si d’un fonc­tion­ne­ment de la signi­fiance elle-même.

Faire confiance à l’Ein­fall, à ce qui vient mais à bon escient. « Je peux attendre vingt minutes sans dire un mot pour conso­li­der une écoute com­pacte que le patient entend, parce que ce temps est néces­saire à la conca­té­na­tion de mes asso­cia­tions, début d’idées inter­pré­ta­tives qui ne sont pas encore par­ve­nues à un niveau suf­fi­sant de den­si­té, ou qui n’ont pas croi­sées les asso­cia­tions du patient en un point éle­vé sus­cep­tible de déclen­cher l’interprétation pro­gres­si­ve­ment écha­fau­dée dans ce silence. Je peux aus­si me mettre à par­ler au patient en lui ouvrant la porte et en l’accompagnant vers le divan avant qu’il ne s’allonge, pour déjouer sa pro­pen­sion à engre­ner, dans une fausse asso­cia­ti­vi­té, un récit linéaire qui intègre les pen­sées d’hier à celles d’aujourd’hui. Et cela pour­ra être une même per­sonne qui sera accueillie de la pre­mière et de la seconde façon. Dans tous les cas il faut que je sente la néces­si­té de tel ou tel usage de la parole, de telle ou telle entrée en contact avec l’autre qui est, là, dans son énigme. Deux séries d’actes de parole embrayent l’une sur l’autre avant que l’on puisse dire s’il s’agit d’une inter­pré­ta­tion, d’une construc­tion, d’une relance, d’une scan­sion, d’une mise en scène psy­cho­dra­ma­tique ».

Ce qui est trans­mis dans la for­ma­tion psy­cha­na­ly­tique pro­vient de ce qui se passe, et se trans­met, à l’intérieur de la pra­tique avec les patients, entre l’or pur de l’interprétation psy­cha­na­ly­tique et l’alliage de celle-ci avec des moda­li­tés psy­cho­thé­ra­piques qui recouvrent en fait des manières variées de tra­vailler en période de crise. « “Arrê­tez ceci tout de suite, sou­ve­nez-vous de là où nous étions par­ve­nus la der­nière fois, ce sou­ve­nir de votre mère débar­quant chez vous sans gêne de façon déli­bé­ré­ment ado­les­cente et intru­sive, inver­sant les rôles“. Une fois de plus cette patiente, en larmes, décla­rait l’inutilité de l’analyse et s’égarait dans l’évocation des dif­fi­cul­tés actuelles. Connais­sant cela par cœur, je pariais sur la trace mné­sique de cette séance récente où elle avait retrou­vé des élé­ments pré­cis mêlés de cri­tiques pers­pi­caces concer­nant sa mère, reste mémo­riel où d’une part sa mère était bien là et où, sur­tout, elle adve­nait à la posi­tion juste que le drame mélan­co­lique cher­chait à effa­cer. J’ai agi comme un parent qu’elle n’a jamais eu, mais ce n’était pas une tech­nique pré­pa­rée à l’avance, j’ai fait confiance à un sen­ti­ment de déci­sion oppor­tune, dans l’urgence à pré­ser­ver le mou­ve­ment ana­ly­sant de la patiente, qu’elle sabo­tait ». Par ce récit à un ana­lyste en for­ma­tion, je trans­mets l’idée, qui peut sem­bler évi­dente, que notre fonc­tion est d’être garant du fait qu’il y ait ana­lyse. Cette patiente, un peu sur­prise, me regarde, mani­fes­te­ment contente que j’ai enten­du son appel au secours.

Le tra­vail ana­ly­tique n’est jamais ennuyeux ou si dif­fi­cile que le pré­tendent cer­tains, car c’est jus­te­ment l’ennuyeux et le dif­fi­cile qui mettent sur la piste des résis­tances et de l’ambivalence, oui/non per­ma­nent, hys­té­rie mas­sive de base qui nous tire, des jour­nées entières, dans un brouillage des images, des affects, des mots, d’où des linéa­ments plus régu­liers vont se déga­ger, ou pas. Que les psy­cha­na­lystes fassent l’effort de ne pas bar­bo­ter dans cette hys­té­rie mas­sive de base, en se plai­gnant sans arrêt de façon conve­nue ! nous sommes en charge de Psy­ché, énigme et lumière, déesse ori­gi­nelle, conte­nu incons­cient et enve­loppe du moi. Trans­mettre, c’est aider à rendre sen­sible la beau­té qu’il y a à essayer d’être à la hau­teur de cette humble fonc­tion, socia­le­ment pas assez recon­nue, et contra­dic­toi­re­ment, mettre en garde contre l’idéalisation qui efface des pans entiers de la décou­verte freu­dienne, tou­jours aus­si déran­geante pour la psy­cho­lo­gie col­lec­tive aujourd’hui qu’il y a un siècle. Freud ne disait-il pas que ceux qui, par­mi les psy­cha­na­lystes, refu­saient l’hypothèse de la pul­sion de mort, mani­fes­taient un refus des aspects les plus pro­fon­dé­ment justes, mais désta­bi­li­sants, pour l’économie du moi, de l’avancée ana­ly­tique ? Il en va de même main­te­nant, avec la sexua­li­té infan­tile, lais­sée de côté par han­tise d’être soup­çon­né d’avoir des pré­oc­cu­pa­tions pédo­philes et même avec la notion de pul­sion, dis­qua­li­fiée lorsqu’on la confond avec l’agressivité pré­da­trice. Il n’est pas si simple de trans­mettre une aisance dans l’accueil de ce que les patients peuvent avoir à dire de ce qu’ils res­sentent dans leur sexua­li­té et dans leurs orgasmes, dès lors que spon­ta­né­ment les jeunes ana­lystes y consi­dèrent une atti­tude séduc­trice des­ti­née à les sub­ver­tir, puis s’étonnent que les patients « d’aujourd’hui » évoquent si peu la sexua­li­té – ils craignent en fait de per­tur­ber leur ana­lyste et le pro­tège, alors que dans le « couple ana­ly­tique », expres­sion deve­nue usuelle, il devrait exis­ter une sorte de copu­la­tion psy­chique où cir­culent les vagues, les cercles expan­sifs des éprou­vés psy­chiques de la sexua­li­té. Dans le même registre, il n’est pas si simple non plus de trans­mettre que dans les situa­tions post-trau­ma­tiques, il faut savoir aus­si entendre l’en-deçà d’une vio­lence inté­rieure au psy­chisme (Richard, 2024). Où l’on res­sai­sit la richesse de l’enchevêtrement des pen­sées du rêve, cet « ombi­lic » d’où res­sus­cite, comme au hasard, le désir, à condi­tion d’éviter la mise en récit, l’obsession de l’exhaustivité, la réas­su­rance de la conti­nui­té à tout prix : se tenir au centre d’un car­re­four fores­tier à l’orée de che­mins que l’on ne pren­dra pas tous.

On tra­vaille au niveau sup­po­sé de conflit que peut sup­por­ter le moi conscient/ préconscient/inconscient du patient, autant qu’en repé­rant, devi­nant, la varia­tion actuelle de son trans­fert incons­cient. La seconde topique ça/moi/surmoi reprend la pre­mière topique, l’englobe dans une pro­blé­ma­tique plus dyna­mique et éco­no­mique, signi­fiée par la dia­lec­tique entre Eros et Tha­na­tos. La pre­mière topique consti­tue une grille de lec­ture que la seconde recadre de façon plus maniable tech­ni­que­ment où le cadre s’impose avec ses règles fermes et pro­tec­trices de la situa­tion ana­ly­tique (un bon sur­moi) – au-delà de son ori­gine : le cadre psy­chique interne de l’analyste dont il ne faut pas oublier qu’il en reste tou­jours la condi­tion abso­lu­ment néces­saire (Green, 1974).

La règle fon­da­men­tale de tout dire ce qui vient, chaque ana­lyste a sa façon de la com­mu­ni­quer au patient, éven­tuel­le­ment de la refor­mu­ler autre­ment lorsque celui-ci s’enferre dans la dif­fi­cul­té à dire des choses qui lui semblent inutiles à la cure. Dans la trans­mis­sion, le moment de l’indication ini­tiale prend un relief par­ti­cu­lier, puisqu’il faut dis­cri­mi­ner quel patient fera un bon cas de contrôle (à trois séances par semaine sur le divan, avec suf­fi­sam­ment de réflexi­vi­té et une asso­cia­ti­vi­té ajus­tée aux véri­tés incons­cientes). C’est un fré­quent point d’achoppement dans la mesure où la règle fon­da­men­tale est faite, d’une cer­taine façon, pour se heur­ter au refou­le­ment qui lui fait bar­rage, tan­dis que l’on peut consi­dé­rer aus­si que dès qu’une per­sonne ren­contre un psy­cha­na­lyste et pas un cli­ni­cien qui ne le serait pas, l’entretien se passe d’une façon tout à fait inédite pour cette per­sonne, confron­tée à une écoute dis­crète, des remarques, des relances telles que dès le pre­mier entre­tien la règle fon­da­men­tale se met en place d’elle-même et qu’il n’est peut-être pas néces­saire de l’énoncer (Stein, 1971).

De tous ces points tech­niques il est loi­sible de dis­cu­ter libre­ment en super­vi­sion, sans pri­vi­lé­gier ceci plu­tôt que cela.

Il arrive que le patient dont l’analyste en for­ma­tion parle en super­vi­sion inter­rompe bru­ta­le­ment, dis­pa­raisse, ghoste son ana­lyste. Pour­tant il sem­blait avoir acquis un bon niveau d’autoréflexivité, et pro­gres­sait. Était-ce donc une illu­sion ? Une eupho­rie inap­pro­priée s’était-elle empa­rée de l’analyste et du super­vi­seur ? En fait, des signes pré­cur­seurs n’avaient pas été pris en compte, on avait sous-esti­mé la pres­sion du contexte externe et sur­es­ti­mé la puis­sance de la situa­tion ana­ly­sante. Il peut se pro­duire que des inter­pré­ta­tions justes ren­forcent la résis­tance, mais il peut se pro­duire aus­si que le pro­blème soit ailleurs, un ailleurs que l’on demeure alors sans se l’être repré­sen­té en quoi que ce soit.

À cet égard, la tech­nique pré­co­ni­sée par Green d’intervenir sur­tout au niveau pré­cons­cient pour assou­plir les sys­tèmes défen­sifs et glis­ser ici et là de véri­tables inter­pré­ta­tions visant l’inconscient (1979), pro­pose une voie pro­fi­table – elle informe la « conver­sa­tion psy­cha­na­ly­tique » selon Rous­sillon, le manie­ment sub­til de l’entretien avec l’adolescent selon Pierre Mâle et toute la zone grise située entre psy­cha­na­lyse et psy­cho­thé­ra­pie que j’ai plu­sieurs fois explo­rée (2001, 2002, 2011b).

Il faut aller au-delà en s’attachant aux mots pré­cis, lap­sus, répé­ti­tions signi­fiantes, en inter­pré­tant « le trans­fert dans le trans­fert » sans dis­tin­guer de façon trop for­melle, inter­pré­ter le trans­fert et dans le trans­fert. Car on ne va jamais assez loin dans l’analyse du contre-trans­fert où la per­son­na­li­té de l’analyste (les strates cumu­la­tives d’expérience consti­tuantes de son carac­tère) exprime une réac­ti­vi­té vitale saine – l’analyste doit être lui-même – mais qui l’aveugle. Négli­geant cela, on attri­bue la confu­sion qui s’ensuit à la mys­té­rieuse iden­ti­fi­ca­tion pro­jec­tive par laquelle le patient dépo­se­rait en nous sa confu­sion, alors que tout sim­ple­ment l’analyste ne sup­por­tait pas cer­tains aspects de lui-même, ou de ses ima­go incons­cientes, pré­sen­ti­fiés par le patient.

Com­ment trans­mettre cela sans trans­for­mer une super­vi­sion en séance d’analyse, ce qui consti­tue­rait un abus de pou­voir ? Géné­ra­li­ser pro­cure un moyen terme, on débat­tra de la façon qu’ont tous les ana­lystes de se défendre en impu­tant à l’autre, selon un cli­vage pré­coce bon/mauvais, ce qui ne va pas : le patient est nar­cis­sique, voire per­vers, qui sait au fond peut-être psy­cho­tique. Ce dis­cours est d’autant plus mal­ai­sé à sol­der pour tout compte qu’il pose de vraies ques­tions (Richard, 2024) ; on y par­vient labo­rieu­se­ment à force de com­men­taires plus ques­tion­nant que cri­tiques, géné­rant une inter­pé­né­tra­tion psy­chique, à la bonne dis­tance, entre col­lègues.

Le prin­cipe freu­dien de l’écoute en égal sus­pens, à éga­li­té de tout ce qui est dit, vaut aus­si pour la rela­tion entre les pro­ta­go­nistes de la trans­mis­sion. La parole d’un débu­tant est à écou­ter tout autant que celle d’un pra­ti­cien créa­tif confir­mé : c’est ain­si que montent du bas vers le haut des refor­mu­la­tions euris­tiques, par­fois des idées nou­velles. Si le for­ma­teur les sou­ligne au bon moment, elles sui­vront leur adve­nir.

Agirs de parole

La trans­mis­sion de la psy­cha­na­lyse serait par­fois sai­sie par la ten­ta­tion de tra­quer en toute cir­cons­tance ces déra­pages où la parole de l’analyste vire et tombe dans une sorte de pas­sage à l’acte par lequel il exprime un affect inter­per­son­nel de colère, de décep­tion, d’amour, et, pire, laisse pas­ser un frag­ment inana­ly­sé de fan­tasme per­vers. Com­ment dépar­ta­ger le mau­vais agir de parole de la parole uti­le­ment agis­sante, speech act sou­hai­table, puisque toute parole pro­cède de l’énonciation d’un locu­teur, acte par excel­lence, qui veut, cherche. Je pro­longe ici la cri­tique d’une façon trop sys­té­ma­tique de faire appel à l’identification pro­jec­tive : à tout bout de champ déce­ler un risque d’agir de façon indue sur le patient par notre parole, relève d’une défense pho­bique contre l’interpénétration psy­chique au sein du couple ana­ly­tique. Mais la ques­tion se pose néan­moins d’une intru­sion pos­sible, au-delà de la vio­lence struc­tu­relle inévi­table de l’interprétation que le « porte-parole » pro­digue, trans­met à l’infans (Aula­gnier, 1975).

Par­fois l’agir sans parole hors séance réus­sit à dire tan­dis que la parole tenue en séance est déses­pé­ré­ment vide.

Plus sou­vent les affects par­viennent à être dit sur le ton juste. « Il est ému, moi aus­si ». Il y a sym­bo­li­sa­tion. Les bons affects sont en eux-mêmes l’introjection sym­bo­li­sante au tra­vail tan­dis que les émo­tions plus intenses sidèrent, non trans­for­mables pour le moment. « Vous êtes libre de choi­sir un autre ana­lyste » res­semble à un pas­sage à l’acte ; en fait, c’est une inter­pré­ta­tion : un rêve s’ensuit où le patient désire l’analyste mais l’évite – « je vous pro­pose mes bras mais vous n’en vou­lez pas ».

L’attraction pos­sible d’un acte dans la parole (Don­net, 2005) est per­ma­nente, puisqu’elle repré­sente le noyau inces­tueux du com­plexe d’Œdipe. On voit com­ment peut ici s’enclencher une dérive per­sé­cu­tive où l’analyste en for­ma­tion per­çoit toute inter­pré­ta­tion comme trop magis­trale, meur­trière d’âme. Alors qu’il s’agit d’une réin­car­na­tion dans une confu­sion pré­sent-pas­sé, en séance, du pas­sé le plus loin­tain dans une perte momen­ta­née des repères spa­tiaux-tem­po­rels, où l’on ne com­prend plus rien, comme le petit enfant que l’on était jadis. Trans­mettre qu’il ne faut pas redou­ter cette occur­rence, l’approuver au contraire dans toute sa consis­tance d’expérience émo­tion­nelle appro­priable dans la co-pré­sence d’un être-là ensemble à l’autre et au monde (Mer­leau-Pon­ty, 1964).

« Tout se passe comme si le pro­fit reti­ré était à la mesure du risque encou­ru selon la logique des situa­tions-limites » (Don­net, ibid., p.102) : la crainte d’un acte pas­sant clan­des­ti­ne­ment dans la pure parole se méta­mor­phose dans l’efficacité de l’interprétation pro­fé­rée. Qui a par­lé ? L’analyste dans sa fonc­tion, le même comme per­sonne avec sa pas­sion pour l’analyse, ou tou­jours lui avec sa psy­cho­sexua­li­té, ou encore la bouche d’un objet psy­chique propre au patient trans­fé­rée sur celle de l’analyste ? Cette der­nière éven­tua­li­té laisse impa­rable la menace per­sé­cu­tive, le psy­cha­na­lyste se sent cer­né par la crue d’une pré­sen­ti­fi­ca­tion hal­lu­ci­née de l’univers ima­gi­naire du patient com­bi­né avec le sien, entre néces­si­té et crainte de ce qui va venir, Ein­fall, au milieu des rami­fi­ca­tions si nom­breuses d’un rêve que l’on s’y perd, à moins de lais­ser venir de tous les côtés en même temps des bruits qui se réunissent en une har­mo­nie dans le prin­cipe de plai­sir.

De cette com­plexi­té on parle en super­vi­sion mieux que dans les sémi­naires de for­ma­tion ou de recherche, parce que les inter-trans­ferts de tra­vail y sont plus fluides. Un para­digme s’en dégage, celui pré­ci­sé­ment de l’hypercomplexité, qui ne réfute pas les tech­niques éta­blies, mais invite à en sou­pe­ser la consis­tance à l’aune du bon niveau à trou­ver – comme celui d’une balance oscil­lant à l’approche de l’équilibre – de force de l’énonciation. Un psy­cha­na­lyste débu­tant pré­fère spon­ta­né­ment un style trop actif d’intervention pour relan­cer l’entretien et pour déjouer les cli­vages, mais du même coup il évite sa propre impli­ca­tion res­pon­sable d’auteur de l’interprétation. Angois­sé, il se pré­ci­pite dans l’agir de parole tout en s’abstenant d’interpréter, sous pré­texte de ne pas vio­len­ter le patient. Il peut sur­ve­nir qu’un psy­cha­na­lyste expé­ri­men­té, las de por­ter pour tant d’autres leurs vies psy­chiques, écoute moins bien, devienne plus silen­cieux, comme s’il rechi­gnait à inter­pré­ter. Le temps est venu pour lui d’un souffle nou­veau par exemple grâce à une reprise d’analyse.

Trans­mettre la psy­cha­na­lyse sup­pose recon­nu le fait que c’est sou­vent du côté de l’analyste, de ses pré­con­cep­tions, d’un reste inana­ly­sé chez lui, qu’in­sistent aus­si des résis­tances à un chan­ge­ment véri­table pour le patient. Cette hypo­thèse faite par Ray­mond Cahn et Ste­ven Wain­rib fut à l’origine d’un sémi­naire cli­nique de for­ma­tion à la SPP, que je dirige actuel­le­ment, inti­tu­lé « Cadre et contre-trans­fert ».

Les car­re­fours de la trans­mis­sion

Les psy­cha­na­lystes débu­tants sont très, trop sen­sibles à ce qui pro­vient du contexte des patients et des cau­sa­li­tés sociales – trau­mas simples allé­gués par les patients eux-mêmes et que les psy­cha­na­lystes peuvent avoir per­son­nel­le­ment connus. La nar­ra­tion de la dou­leur, en appa­rence sans pro­fon­deur psy­chique, fait pen­ser à un fonc­tion­ne­ment opé­ra­toire et à une inana­ly­sa­bi­li­té. Beau­coup de patients arrivent avec une théo­rie psy­cho­so­ciale d’eux-mêmes, laquelle influence le psy­cha­na­lyste. Or on peut tout trai­ter comme un maté­riel asso­cia­tif oni­rique, même des pro­pos ordi­naires col­lés à ce qui s’est pas­sé les der­niers jours, rap­por­té dans le genre de la vie quo­ti­dienne. C’est irri­tant ? Soyons impas­sibles. Win­ni­cott a très bien par­lé de ces patients dont l’absence psy­chique est plus réelle que leur pré­sence, c’est une façon poé­tique d’être qu’il est pré­fé­rable de ne pas stig­ma­ti­ser comme schi­zoïde ou autis­tique.

Nous trans­met­tons une éthique. Les contre-atti­tudes se plai­gnant de patients pénibles à écou­ter, dif­fluents, agres­sifs, me semblent inap­pro­priées : après tout, c’est notre métier, on le sait, et au bout d’un cer­tain temps on com­mence à entendre des répé­ti­tions, un idiome par­ti­cu­lier, le style de cette per­sonne-là. Il y a mal­en­ten­du concer­nant le pro­pos de Han­nah Segal sur le fait que le vécu contre-trans­fé­ren­tiel donne accès à la psy­ché du patient, et celui de Bion sur la valeur de véri­té de l’expérience émo­tion­nelle : ils veulent dire je crois qu’il y faut beau­coup de patience et de tra­vail psy­chique, loin de la géné­ra­tion spon­ta­née que l’on prête à leurs théo­ries. Il s’agit de com­men­cer par être res­pec­tueu­se­ment atten­tif au dis­cours mani­feste du patient et dès le début d’attacher à ce que l’on per­çoit comme sur­pre­nant, déran­geant, impré­vu. Des images se forment ain­si sur le per­son­nage que devient inté­rieu­re­ment pour nous le patient. On conçoit aus­si des cor­res­pon­dances entre lui et nous – c’est quelque chose que l’on peut évo­quer en super­vi­sion, cor­ré­la­ti­ve­ment des inter­pré­ta­tions qui ont com­men­cé à être for­gées mais n’ont pas été énon­cées. Le phi­lo­sophe Mau­rice Mer­leau-Pon­ty dit dans La Prose du monde que pour un mot que nous uti­li­sons, il y en a beau­coup d’autres qui auraient pu conve­nir et sont lais­sés de côté. Ces mots inuti­li­sés élar­gissent le dis­cours selon un « déve­lop­pe­ment obli­co-laté­ral », ils tapissent le fond silen­cieux de toute séance, tant du côté du patient que de l’analyste. Les rami­fi­ca­tions enche­vê­trées per­cep­tibles des pen­sées ont des embran­che­ments, latents mais bien réels.

Ce que nous trans­met­tons en psy­cha­na­lyse, c’est un cer­tain sens du réel, dans notre monde où et le vrai et le faux perdent leur sens – ou, plu­tôt, dont on se défend par une légè­re­té de façade.

Ce réel, pour l’un, c’est la concré­tude des séquences de parole recons­ti­tuées au plus près, même s’il sait bien que tou­jours quelque chose échappe à la mémoire. Pour l’autre, c’est, dès la pre­mière séance de super­vi­sion, ne livrer que les points forts d’articulation du mou­ve­ment de la semaine d’analyse.

La super­vi­sion, comme l’analyse per­son­nelle, est une recherche qui réin­vente la méthode. Autant dire que nous atten­dons des ana­lystes en for­ma­tion une ana­lyse déjà avan­cée, une connais­sance intime de l’empreinte de la névrose infan­tile dans les moindres replis de vie psy­chique de l’adulte.

Lorsqu’une super­vi­sion fonc­tionne bien, les pro­ta­go­nistes oublient le tiers ins­ti­tu­tion­nel, qui réap­pa­rai­tra bien sûr. L’investissement réci­proque est consi­dé­rable, il s’agit d’autre chose que d’un trans­fert, du côté de la ren­contre et de la subli­ma­tion. Par contre super­vi­seur et supervisé(e) com­mu­nient dans un même amour de trans­fert pour le patient dont les séances sont rap­por­tées, dis­cu­tées, peintes, sculp­tées, jusqu’à deve­nir le roman d’un per­son­nage plus vrai que nature. La pré­sence hal­lu­ci­na­toire des images du rêve est peut-être ain­si, dans les meilleurs cas, retrou­vée.

Je sors d’une séance où, comme patient, les choses se sont mises en place avec une véra­ci­té plus nette, dans un ébran­le­ment où mes sou­ve­nirs enva­hissent les per­cep­tions actuelles, les­quelles réci­pro­que­ment sont équi­va­lentes à ces situa­tions pas­sées. Je rentre chez moi, je reçois un patient lui-même psy­cha­na­lyste, qui me fait remar­quer à la fin de la séance que ma façon d’articuler mes inter­pré­ta­tions lui avait sem­blé plus claire et acces­sible que d’habitude. Je pense que cela pro­vient de cette séance toute récente avec ma psy­cha­na­lyste. Puis je consi­dère que ce patient est en train de par­ve­nir à la conclu­sion d’une période de régres­sion psy­chique cathar­tique for­mi­da­ble­ment utile. C’est lui qui se réor­ga­nise, qui arti­cule mieux. Coïn­ci­dence heu­reuse entre deux pro­ces­sus ana­ly­sants qui nous per­met de prendre nos che­mins res­pec­tifs aux car­re­fours laby­rin­thiques du rêver ? Oui, mais aus­si­tôt vient une troi­sième idée : cet ana­ly­sant ana­lyste est en train de s’engager dans un tra­vail de super­vi­sion, qui a cer­tai­ne­ment une inci­dence sur son sen­ti­ment d’articulation étayante. La nuit sui­vante je rêve de mon ana­lyste, je la vois assez dis­tinc­te­ment, plus grande qu’en réa­li­té, élé­gante, elle me fait pen­ser aus­si à une patiente. Elle me livre une inter­pré­ta­tion sai­sis­sante sur les rela­tions qui ont pu exis­ter entre une pas­sion ado­les­cente et l’ombre de ma rela­tion avec ma mère, je res­sens un élar­gis­se­ment joyeux par cercles concen­triques qui se des­serrent d’autour de moi. Mon espace psy­chique se libère de tout un sys­tème invi­sible de contraintes – bien sûr cela ren­voie à beau­coup d’autres élé­ments que je connais bien et sur les­quels je ne sau­rais évi­dem­ment m’étendre ici. Le rêve fait écho à un moment de ma séance, il consti­tue l’après-coup où une inter­pré­ta­tion reçue est inté­grée, et trans­forme mon fonc­tion­ne­ment psy­chique, mais il concerne aus­si mes réflexions de la veille à pro­pos de mon patient qui, lui aus­si, d’une façon dif­fé­rente, s’émancipe de contraintes névro­tiques.

Dans les heures qui suivent, je repense à ma pre­mière ana­lyse, décou­verte d’un nou­veau monde, et relis un article de mon pre­mier ana­lyste, agréa­ble­ment éton­né de consta­ter que cette lec­ture peut m’aider pour écrire un article en cours. Je repense aus­si à ma seconde ana­lyse et à la façon inimi­table qu’avait mon second ana­lyste de lais­ser dis­crè­te­ment voir com­ment il tra­vaillait au moment même où il le fai­sait, en une réflexi­vi­té aus­si bien englo­bante que sur­plom­bante – dont je me suis ins­pi­ré tout en m’en écar­tant pour affir­mer mon style.

Je ne cesse d’ailleurs de répé­ter aux supervisé(e)s : trou­vez cha­cune, cha­cun, votre style à vous, c’est comme cela que l’on devient psy­cha­na­lyste. À tel point que j’eus la sur­prise d’assister à une impro­vi­sa­tion presque théâ­trale des par­ti­ci­pantes à ma super­vi­sion col­lec­tive où elles s’enjoignaient les unes les autres « trouve ton style », « à cha­cune son style à soi », etc., avec une véhé­mence tran­quille dans l’énonciation qui me lais­sait sans voix.

Autre­ment dit, trans­mettre c’est per­sis­ter, conti­nuer, citer ce que j’ai reçu de mes ana­lystes, de mes super­vi­seurs et, en arrière-fond immé­mo­rial, de mes ascen­dants œdi­piens généa­lo­giques – avec un écart menant à un élar­gis­se­ment psy­chique dés­in­car­cé­ré d’un encer­cle­ment contrai­gnant comme dans mon rêve. La filia­tion, recon­nue, libère, contrai­re­ment à la croyance contem­po­raine en une auto­no­mie abso­lue de l’individu. Autre­ment dit encore, la trans­mis­sion devient, qu’elle le veuille ou pas, poli­tique, il fau­dra prendre posi­tion, se démar­quer de cer­taines orien­ta­tions qui perdent de vue la radi­ca­li­té de la décou­verte freu­dienne. Ce ne sera pas facile, il faut l’expliquer aux ana­lystes en for­ma­tion qui, demain, seront les actrices, les acteurs, de la revi­vis­cence de la psy­cha­na­lyse, aujourd’hui hési­tante.

L’analyse de l’analyste remonte à Freud qui n’a pas eu d’analyste mais qui a fait un tra­vail ana­ly­tique per­ma­nent dans l’élaboration de son œuvre. Le texte freu­dien est nour­ri­cier, mais tout autant lacu­naire, on y trouve des for­mu­la­tions qui n’ont pas encore livré tout leur poten­tiel. Toute pen­sée se pro­jette sur un écran inté­rieur avant de pou­voir être repré­sen­tée à l’extérieur (Freud, 1912).

Lorsqu’un for­ma­teur apprend autant qu’il trans­met

Pour conclure, quelques mots sur cette logique de la trans­mis­sion qui fait que, par­ve­nue à un cer­tain pla­fon­ne­ment, elle se ren­verse dans le bon­heur de rece­voir à son tour.

Depuis un cer­tain temps je m’employais à mon­trer à une ana­lyste en for­ma­tion le carac­tère en fait œdi­pien des troubles nar­cis­siques du patient dont elle me par­lait, jusqu’à ce qu’elle se repré­sente sa bisexua­li­té psy­chique infan­tile, enfouie sous une vie adulte homo­sexuelle – des sou­ve­nirs concer­nant la mère et une sœur appa­raissent tan­dis que le pro­jet de paren­ta­li­té qu’il a entre­prit avec son com­pa­gnon entre en conflit avec l’introduction d’une femme, pos­sible géni­trice pour eux. D’autres sou­ve­nirs, cette fois-ci d’un père aimé et aimant, trop tôt dis­pa­ru, sou­tiennent sa pro­jec­tion comme parent. Cette construc­tion convient au patient qui s’en trouve mieux, mais ne lui per­met pas de s’extirper du mau­vais pas où il se trouve. S’ensuivent des absences aux séances et une dif­fi­cul­té à les payer, où notre col­lègue per­çoit avec finesse un flot­te­ment par­ti­cu­lier qu’elle lui fait remar­quer. Le patient reprend le récit de son his­toire du côté d’une dépres­sion de sa toute petite enfance, peu évo­quée jusqu’alors, avec des épi­sodes où il avait vécu un enfer­me­ment sans issue. L’analyste intègre ce que nous avions éla­bo­ré ensemble dans cette dimen­sion nou­velle qui l’éclaire comme une orga­ni­sa­tion plus secon­da­ri­sée, à par­tir de son expé­rience de psy­cha­na­lyste d’enfants et de sa lec­ture de Bion. Je suis un peu dubi­ta­tif, viennent des rêves où le patient montre une archi­tec­ture inté­rieure com­plexe que l’analyste inter­prète comme une repré­sen­ta­tion des posi­tions psy­chiques les plus pri­mi­tives. Selon l’analyste il s’agit autant d’une méta­phore de la trans­for­ma­tion pré­sente du patient que des sou­bas­se­ments de son com­plexe d’œdipe. Je trouve cette pen­sée adap­tée à la situa­tion et la laisse conti­nuer dans cette direc­tion, qui m’aide à conce­voir la notion d’un œdipe pri­maire défor­mé par la pres­sion du poly­mor­phisme, que je tra­vaillais à ce moment-là, comme pou­vant aus­si signi­fier une crois­sance psy­chique du moi.

Dans une autre situa­tion de super­vi­sion, la patiente dont était rap­por­tées les séances pré­sen­tait un mélange d’hystérie et de fonc­tion­ne­ments limites, typique des œdipes dis­tor­dus. Les hypo­thèses de l’analyste en for­ma­tion s’emboitaient avec les miennes. Je sens bien néan­moins que cette jeune col­lègue affirme sa théo­rie du cas, dans une sub­jec­ti­va­tion où il lui faut pro­duire sa propre pen­sée psy­cha­na­ly­tique, très atta­chée aux tour­nures ver­bales qu’utilise sa patiente, indi­cielles dès le pre­mier entre­tien d’une iden­ti­fi­ca­tion à un épi­sode dépres­sif du père (ils ont tous les deux « cra­qué »). La patiente reven­dique la pos­si­bi­li­té d’aider son père mieux que ne le fait sa mère. L’analyste acquiert la convic­tion que la situa­tion d’échec qui amène la patiente à consul­ter cor­res­pond à une auto­pu­ni­tion de son sou­hait œdi­pien. C’est l’axe autour duquel tour­ne­ra une grande par­tie de ses inter­pré­ta­tions, véri­fié par une parole de la mère lors de l’adolescence de la patiente : « Il ne faut plus que tu ramènes des gar­çons à la mai­son. » L’analysante en avait déduit que sa fémi­ni­té nais­sante fai­sait peur à son père :

« “ Je suis contente d’avoir plu dire ça à ma mère“ – je relève “Plu“ – Elle entend plus plaire, plaire davan­tage et je com­plète “pour plaire à votre mère il ne fal­lait plus plaire à votre père“ ».

Des séances man­quées inter­viennent après des séances intenses où elle a accès aux conflits incons­cients qui l’animent. Résis­tance. « Mais si on suit Freud dans sa concep­tion de la néga­tion (Die Ver­nei­nung, 1925) c’est jus­te­ment par cette opé­ra­tion de la néga­tion que la recon­nais­sance de l’inconscient com­mence à avoir lieu. Les séances man­quées, en ce sens, font par­tie inté­grante de l’analyse. Elles y intro­duisent l’importance de sa ten­ta­tion d’être absente à elle-même, à laquelle suc­cède un regain de pré­sence. Quelque chose émerge de posi­tif à par­tir de cette expé­rience de désor­ga­ni­sa­tion ». Je suis inté­res­sé par cette facul­té auto­di­dacte de pen­ser les états limites à par­tir des seuls repères freu­diens, en fai­sant réfé­rence aus­si à une note de bas de page d’un des tous pre­miers articles de Freud où il parle de la valeur sym­bo­li­sante de l’émotion selon Dar­win. Cela me ren­force dans ma recherche où je reprends ce que j’ai conçu sur l’adolescence et les fonc­tion­ne­ments limites, dans une théo­ri­sa­tion recen­trée sur l’Œdipe.

Pour conclure

J’ai vou­lu témoi­gner de mon expé­rience, elle recoupe je pense celle d’autres col­lègues. Un psy­cha­na­lyste se doit de par­ler des dif­fé­rentes posi­tions psy­chiques qu’il tra­verse. Le sou­ci de l’authenticité et de la clar­té dans l’expression, reste, dans notre com­mu­nau­té, insuf­fi­sant. Dans le contexte actuel d’une désa­gré­ga­tion de la culture et d’une déso­rien­ta­tion des esprits, la psy­cha­na­lyse se trouve, comme à ses débuts, por­teuse d’un mes­sage de véri­té que beau­coup ne veulent ou ne peuvent pas entendre. Rai­son pour laquelle il nous faut être plus acces­sibles dans notre com­mu­ni­ca­tion, ban­nir toute rhé­to­rique inutile, sans rien céder sur l’exigence de nos concep­tions.

Je pense aux réunions où les psy­cha­na­lystes for­ma­teurs se penchent très atten­ti­ve­ment sur les rap­ports faits par ceux d’entre eux qui ont ren­con­tré les can­di­dats à notre cur­sus : s’y entre­croisent, recoupent, éloignent des vues variées sur le can­di­dat, mais aus­si sur la prise en consi­dé­ra­tion de l’associativité du groupe, la contre-atti­tude pos­sible d’un col­lègue ayant ren­con­tré le can­di­dat, le pro­ces­sus ori­gi­nal résul­tant de la suc­ces­sion d’un entre­tien d’admission à un autre puis à un troi­sième. Il faut ici savoir se lais­ser atteindre par ce que disent les col­lègues autant que par ce que nous a dit, trans­mis, le can­di­dat.

J’ai sou­vent cité Die Traum­deu­tung 1900. Toute la méthode s’y trouve : trans­for­ma­tion inces­sante, inachè­ve­ment, pas de conclu­sions défi­ni­tives, pour­tant des véri­tés existent. L’écoute psy­cha­na­ly­tique déclare que tous les élé­ments enten­dus sont d’une égale impor­tance. La pré­sence sen­so­rielle de l’expérience de rêver, coexiste avec l’idée que les images n’y sont réfé­rables à aucun point tan­gible de l’appareil psy­chique, ou à tous. À par­tir d’une « pre­mière dif­fé­ren­cia­tion » (Freud, 1900, p. 457) le tra­vail du rêve crée des formes, c’est aus­si essen­tiel que son sens latent. Tous ces para­doxes freu­diens de 1900 mènent vers une épis­té­mo­lo­gie de l’hypercomplexité. Ain­si les sou­ve­nirs les plus pré­coces – avant trois ans – laissent les traces les plus fortes quoi qu’on s’en sou­vienne peu, ou indi­rec­te­ment. La capa­ci­té d’éprouver une pleine viva­ci­té sen­so­rielle – dimi­nuée par l’actuel mal-être dans la civi­li­sa­tion – peine à conce­voir der­rière les images omni­pré­sentes, ce que Freud nom­mait « matière pre­mière » (p. 465). « Ver­ser le conte­nu de la pen­sée dans une autre forme » (p. 286) n’abolit pas le sou­ci de véra­ci­té au pro­fit d’une trop facile mise en récit ni vraie ni fausse. Les fan­tasmes sont autant déter­mi­nants que les évé­ne­ments, les deux ensembles génèrent « la struc­ture de l’appareil psy­chique » (p. 193).

En 2023, la psy­cha­na­lyse, pro­cé­dé de trai­te­ment de la souf­france psy­chique humaine, consti­tue, je crois, plus que jamais, une inves­ti­ga­tion des dis­cor­dances à l’œuvre dans la trans­mis­sion de la culture et des savoirs.

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Mots clés : Agir de parole, Après-coup de l’après coup, Asso­cia­ti­vi­té, Contre-trans­fert, Groupe, Inter­pré­ta­tion, Rêve, Super­vi­sion, Trans­mis­sion.